École St. Teresa's Catholic Primary School à Ashford, dans le Kent, dans le sud-est de l'Angleterre
Voici une lettre que j'ai reçue il y a quelques temps et à laquelle j'ai répondu cette semaine.
Bonjour Annouchka,
Je suis française et j’habite en Angleterre depuis 19 ans! Mon français n’est plus aussi bon!
Ce mois-ci je dois enseigner sur un livre d’une autre culture et j’ai choisi votre livre pour Shô et les dragons d'eau pour plusieurs raisons. J’aime l’histoire de cette fille qui va travailler pour aider sa famille, qui est humble, mais qui a ce pouvoir d’influencer la nature. J’aime beaucoup la fin avec les cerfs-volants. Et aussi j’adore les illustrations. Vous avez beaucoup de talent. Je pense que les enfants vont beaucoup aimer ce livre.
Nous allons étudier votre livre pendant presque 4 semaines en anglais, en dessin, en religion, en informatique et on va aussi faire des cerfs-volants. Je dois vous dire que j’enseigne dans une école catholique mais avec une grande ouverture sur le monde qui nous entoure. Il y a des enfants de beaucoup d’origines différentes. C’est fantastique!
Je vais vous contacter dans deux ou trois semaines…
En attendant… Bonne inspiration et bonne peinture!
Nathalie Hockey
Chère Grace, chère Jiselle, cher Kerilik, chère Olivia, chère Rachel, cher Abraham, chère Ellie, cher Thomas,
Tout d’abord, je voudrais m’excuser de ne pas avoir répondu plus tôt à vos lettres. Mon vieux père que j’adorais et qui était très malade est décédé dans la même période où j'ai reçu votre envoi. J’ai perdu le fil du temps, absorbée que j’étais par la perte de cet être si cher.
Les questions des enfants
Étais-tu heureuse lorsque tu as terminé le livre
Shô et les dragons d'eau?
Combien de temps cela t’a pris pour faire ton livre?
D’où te vient ton inspiration pour cette histoire? Et pourquoi se situe-t-elle au Japon?
As-tu écrit d’autres histoires?
En regardant vos illustrations, je ne me trouve pas à la hauteur, je n’ai pas vraiment de style.
Vas-tu écrire une suite à Shô?
Es-tu satisfaite de ton livre et comment te sont venus les personnages? Les images?
Aurais-tu changé certaines choses dans Shô une fois le livre terminé ou en es-tu satisfaite pleinement?
Est-ce que tu t’es laissé guider par les couleurs en jouant de ton pinceau ou avais-tu une idée dans ta tête qui t’inspirait?
Saviez-vous que le mot Shô signifiait voler (comme une mouche)?
Est-ce difficile de créer des personnages ou de personnaliser des objets?
Est-ce que la suite de Shô va être encore plus active, plus intense?
Est-ce que Shô est le sommet de ta carrière?
Est-ce que cela a été plaisant de créer ce livre?
Qu’est-ce qui t’a donné l’idée de donner à Shô « un don précieux »?
Pourquoi l’as-tu nommé « Shô »?
Pourquoi as-tu pensé aux « trois conditions »?
Qu’aurais-tu fait si tu n’avais pas été auteure?
D’où t’es venu le titre de « Shô et les dragons d’eau »?
Quand as-tu commencé à écrire? Avais-tu fait des illustrations pour ce premier texte?
Comment se sent-on quand on est la fois auteure et illustratrice?
Mes réponses
J’ai été très heureuse durant le long processus de création des images et du texte de
Shô et les dragons d’eau et également soulager de terminer enfin ce livre! J’avais le sentiment d’avoir accouché de quelque chose de grand qui m’avait nourri spirituellement et qui allait nourrir également les autres. J’étais heureuse d’avoir cheminé de jour en jour, patiemment, et surtout reconnaissante envers la vie de pouvoir illustrer mon propre texte. Tout en travaillant, je pensais parfois avec tendresse au travail des moines médiévaux peignant avec soin et amour les magnifiques enluminures des manuscrits.
Quand on accouche d’un enfant, on l’accepte tel qu’il est sans vouloir lui changer le nez ou les oreilles! Une fois le livre terminé et publié, l’idée de revenir en arrière pour en changer quelque chose ne m’est pas venue à l’esprit, même si par la suite j’ai trouvé certaines images trop surchargées.
Même si le livre
Shô et les dragons d’eau a remporté un grand succès, je n’aime pas à penser qu’il pourrait être le sommet de ma carrière, car de penser ainsi fige le cours des choses. La création est quelque chose de vivant qui se renouvelle, un peu à l’image d’une rivière qui coule et qui n’est jamais la même tout en étant la même. Chaque livre a sa raison d’être et son importance propre. Un album ou un livre ne doit pas nécessairement être comparé à une autre production d’une autre période de sa vie. Pour moi d’ailleurs, la création ne se manifeste pas uniquement dans celles des livres, mais partout au quotidien, dans les petites choses, comme dans les grandes choses. Il y a un très beau proverbe qui dit :
Le bonheur, c'est savoir reconnaître la lumière dans toutes les petites et les grandes choses. Lorsque j’oublie cette vérité (et Dieu sait si je l’oublie souvent!) je perds totalement ma sérénité. Les artistes sont continuellement confrontés à devoir faire preuve d’humilité et de patience, confrontés aussi à devoir travailler la plupart du temps dans l’ombre, sans attente de reconnaissance publique, ce qui n’est pas toujours facile. Pourtant ces conditions qui semblent ingrates peuvent être l’occasion pour eux de renforcer leurs esprits et de demeurer intègres.
De même, il ne faut pas se déprécier en se comparant aux autres. Chaque être humain est unique et c’est ce qui fait la richesse et la beauté du monde. Si, par exemple, on a de la difficulté à dessiner ce qu’on imagine, on peut s’aider en s’inspirant du talent des autres et dans cette influence recréer à sa façon des images qui nous ressemblent. Hokusaï, un peintre graveur du 17e siècle a été pour moi un déclencheur d’inspiration graphique pour les illustrations de
Shô. J’ai d’ailleurs dédié ce livre à Hokusaï pour l’honorer de son aide et le remercier d’avoir donné à l’humanité un si riche témoignage de la vie rustique au Japon.
L’histoire de
Shô et les dragons d’eau est le fruit d’un cheminement spirituel : alors il m'est difficile d’en calculer son temps de création subjectif. En temps concret, le livre a pris environ 9 mois avant d’être mené à son terme (comme un bébé).
J'ai fréquenté durant dix ans un monastère zen qui est de tradition japonaise. Le maître zen du temple Mukiku Zen Ji nous transmit généreusement ces précieux enseignements. Le zazen (méditation) et le samu (travail physique) étaient des composantes de la discipline spirituelle. On peut d’ailleurs voir dans le livre de
Shô une illustration où elle ratisse en vaguelettes du sable dans un jardin de roches. C’est là un jardin zen inspiré du monastère Mukiku Zen Ji.
Illustration de ©Annouchka Gravel Galouchko, tirée de l'album jeunesse,
Shô et les dragons d'eau, Annick-Press, Toronto, 1995
Aujourd’hui notre maître zen est décédé, mais ses enseignements se poursuivent par le biais d’un autre canal. C'est donc à cette époque inspirée que j'ai écrit
Shô et les dragons d'eau. L’idée du nom Shô m’est venue alors que je lisais un livre pour enfant, un conte japonais s’intitulant
La montagne aux chats. Dans cette histoire, la petite fille s’appelait Shô (mis à part le nom Shô, les deux histoires n’ont aucun lien).
Par la suite j’ai appris que le mot Shô avait plusieurs significations dont celle d'illumination spirituelle! Je crois bien qu’inconsciemment j’ai choisi ce nom en résonnance avec la qualité d’illumination qui représente bien mon héroïne. La fillette dans mon histoire est omnisciente, c’est une sage qui a atteint « l’autre rive ». Cela signifie qu’elle a atteint la compréhension où l'on reconnaît la nature sacrée de toute chose, celle où l'on reconnaît en soi et en chacun notre « vraie nature » ou notre nature éveillée. Shô est pleinement consciente de cette vie éternelle en elle et, parce qu’elle est pleinement consciente aussi que cette vie est la même dans les autres êtres, il lui est facile de les aider. Comme elle voit clair en elle-même : elle voit clair en tous et en toutes les formes de vies. Elle peut donc reconnaître les réels besoins des êtres.
Les trois conditions imposées aux villageois: celle d’arrêter de jeter les cauchemars à la mer, celle d’affronter les démons et celle de partager les fruits de la pêche avec les plus démunis sont les conditions ou les causes non égoïstes qui permettront à de nouvelles situations plus bénéfiques de se manifester. C’est ce qu’on appelle la loi de la cause à effet.
Illustration de ©Annouchka Gravel Galouchko, tirée de l'album jeunesse,
Shô et les dragons d'eau, Annick-Press, Toronto, 1995
Ce n’est pas difficile pour moi de personnaliser des objets pour la simple raison que je prends plaisir à donner une allure humaine et fantaisiste à mes arbres, pierres ou objets. Mon inspiration me vient d'une vision que j'ai du monde : comme quoi, tout est vivant. Dans mes illustrations, l'arbre peut marcher, la montagne observer les événements autour d'elle. Une maison habitée par des gens malheureux peut pleurer. Dans l’histoire de
Shô, lorsqu’à nouveau le poisson abondera aux repas dans les foyers, les maisons prendront la forme de poissons. Les cheminées en forme de bouche de poisson laissent s’échapper des fumets de soupe. Celles-ci sont un peu inquiétantes, l’odeur du vieux poisson pouvant être épouvantable. Cela nous rappelle la mauvaise odeur de bouche que l'on peut parfois avoir au petit matin et symbolise dans l’illustration que les gens recommencent à accumuler tranquillement leurs cauchemars dans leurs foyers.
Illustration de ©Annouchka Gravel Galouchko,
Le Jardin de Monsieur Préfontaine, éditions Les 400 coups, Montréal
Illustration de ©Annouchka Gravel Galouchko, tirée de l'album jeunesse,
Shô et les dragons d'eau, Annick-Press, Toronto, 1995
Le titre de
Shô et les dragons d’eau, ou plutôt son inspiration m’est venue lors d’un festival de cerfs-volants à Montréal. Il y avait un cerf-volant, à mes yeux très particuliers, qui m'a fait vibrer de la tête au pied! Le cervoliste avait enroulé autour de ses reins une longue corde sur laquelle s'alignait une série d’oiseaux blancs découpés. Les oiseaux enfilés sur la corde et agités par le vent montaient dans le ciel en une file étincelante. J’avais l’impression que chaque oiseau blanc était une vertèbre d’une colonne vertébrale humaine géante tendue vers les hauteurs. Le corps et l’esprit du cervoliste étaient très concentrés. Le cervoliste était solidement ancré dans le sol.
Illustration de ©Annouchka Gravel Galouchko, tirée de l'album jeunesse,
Shô et les dragons d'eau, Annick-Press, Toronto, 1995
À ce moment-là, j'ai senti dans ma colonne vertébrale un flux d’énergie vibrer et s’élever du coccyx vers ma tête. C’était très doux, à l'image d'une brise intérieure se réveillant et s’élevant en moi. Je regardais, un peu ébranlée, le cervoliste très concentré donner la direction à son cerf-volant. Il m’inspirait. Mes pieds prenaient, à son image, racine dans le sol; je ne voulais surtout pas m’envoler à tous les vents et risquer de me casser le nez sur le sol! J’avais la conviction merveilleuse qu’un même vent, ou qu’une même vie, nous animait tous.
Et là, j'ai compris que le feu sacré de l’inspiration, ou qu’un vent subtil, étaient venus me visiter. Je savais qu'une création naîtrait de cette expérience. Dans une des illustrations du livre, on peut voir un portrait de pied de Shô avec une chute d’eau à l’intérieur d’elle qui représente son jardin intérieur. Un pont en arc-en-ciel derrière sa tête traverse le paysage où des bouddhas méditent. Ce pont de lumière symbolise pour moi le pont reliant la terre au ciel, le physique au spirituel, l’harmonie du corps et de l’esprit intégrés.
Illustration de ©Annouchka Gravel Galouchko, tirée de l'album jeunesse,
Shô et les dragons d'eau, Annick-Press, Toronto, 1995
Illustration de ©Annouchka Gravel Galouchko, tirée de l'album jeunesse,
Shô et les dragons d'eau, Annick-Press, Toronto, 1995
Par la suite, le titre de
Shô et les dragons d’eau s’est révélé à mon esprit tout naturellement. Bien des cerfs-volants prennent la forme de dragons en extrême orient. Le terme de démons intérieurs pour signifier nos peurs, culpabilités et blocages émotionnels est familier dans bien des traditions. Le symbole des dragons dans
Shô symbolise les peurs ou démons intérieurs des habitants qui sont refoulés dans la mer (l’inconscient) et qui seront mis à la lumière du soleil (la conscience). Dans cette condition, les dragons pourront s’élever joyeusement vers le ciel. Ainsi, la peur peut être transformée en bonheur et en inspiration créatrice : tout cela n’est-il pas merveilleux et plein d’espoir?
Illustration de ©Annouchka Gravel Galouchko, tirée de l'album jeunesse,
Shô et les dragons d'eau, Annick-Press, Toronto, 1995
Enfant, à l’école j’avais de difficulté à comprendre et trouver un quelconque intérêt aux mathématiques, à la géométrie, aux matières requérant une forme de logique cartésienne. J’étais du type rêveur et imaginatif. Par contre en rédaction de textes et en arts plastiques je me sentais enfin chez moi! J’ai encore un vieux texte que j’ai écrit à l’âge de six ans et qui s’intitule
La guerre des microbes. L’histoire se passe dans le ventre d’une dame. Cela serait amusant qu'un jour ce texte soit publié. J’avais illustré mon histoire d’une seule image : l’intérieur du ventre de la dame vue de haut, en coupe transversale. Dans le ventre de la dame, les armées des bons microbes et celles des méchants, divisés en sections, se préparent à s’affronter.
J’ai écrit d’autres livres après
Shô. Je vous donne des liens de mon site et si cela vous intéresse vous pourrez y découvrir d’autres histoires.
http://www.annouchka.ca/index.php
http://www.annouchka.ca/auteure_sho_plus.php
De voir votre enthousiasme face à des suites illustrées de
Shô m'anime! J’ai plein d’idées. Je crois que de faire des suites de
Shô sous la forme d'albums illustrés et mettant continuellement cette petite fille comme personnage central au coeur de l'action serait à la fois astucieux et inspirant pour moi.
Le conte
Shô et les dragons d'eau met en scène des éléments de ma vie psychique si profonde et si importante que ce récit s'est tout de même poursuivi dans un nouveau texte. Les années ont passé dans mon histoire. Shô, dont on se souvient comme d'un puissant modèle inspirant, n'est plus le personnage principal de l'aventure. Le livre a pris la forme d'un petit roman jeunesse, en format poche, accompagné d'illustrations noir et blanc et titré
Les cerfs-volants ensorcelés, publié chez Leméac, au Canada en 2004.
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Ce conte est un hommage au maître zen, maintenant décédé, qui m’a enseigné de tout son être, de toute sa moelle... Le filon intérieur étant très riche, la saga se poursuit (lentement mais sûrement) et prend désormais la forme d'un roman adulte futur dont le titre provisoire est
Chimères et papillons.
En guise de témoignage et de reconnaissance à MuKiKu senseï, maitre Zen
Je prépare depuis un certain temps le « terrain » pour qu’il soit propice à l’éclosion fertile de nouveaux textes qui, je l'espère, voyageront dans le monde. Car voyez-vous, les artistes ne sont pas, en général, des personnes qui calculent leur temps; ils ne sont pas très “terre-à-terre” et n’ont pas nécessairement le sens des affaires. Cette faiblesse est pourtant aussi leur force, car ils peuvent rêver la société et la nourrir de leurs visions.
Illustration ©Annouchka Gravel Galouchko tirée du roman jeunesse, L
es cerfs-volants ensorcelés, Leméac-Jeunesse, Montréal
Les droits d'auteurs, pour les artistes canadiens, ne sont pas suffisants pour permettre à un auteur ou un illustrateur d'en vivre. Mon compagnon de vie étant également un artiste, un peintre et un illustrateur : nous sommes obligés de trouver d'autres moyens de gagner notre pain.
Nous donnons des ateliers d'art dans les écoles et les bibliothèques, des conférences pour adultes, faisons participer le grand public dans des activités artistiques. Cela témoigne de la diversité des activités auxquelles les artistes doivent donner formes de nos jours au Canada. Cela n'a, d'ailleurs, pas seulement des inconvénients : mais enrichit l'artiste en lui permettant de rencontrer son public à travers des activités ludiques tout en le sortant de son isolement. L'artiste expérimente, par ce type d'activités, plus concrètement son rôle de médiateur et de créateur d'harmonie dans la société.
Certains auteurs et illustrateurs produisent beaucoup plus de livres que moi. Pour ma part, c'est un processus très profond qui me demande un long temps de gestation. Je suis, aussi, d'une nature plus versatile dans ma création.
Si je n'avais pas choisi le métier d'illustratrice ou d'auteure, j'aurais été chanteuse-poète professionnelle. D'ailleurs, en ce moment, je chante (mais non professionnellement) mes poèmes sur de vieux airs russes folkloriques. J'y raconte l'histoire de mes ancêtres russes du côté paternel. En fait, je suis une artiste multidisciplinaire.
Dans le processus de création d’images, je me laisse guider par les couleurs « en jouant avec mon pinceau » tout en maintenant l'idée de base de ce que je veux illustrer. Il s'agit de laisser l’intuition nous guider vers des univers que l’on découvre souvent au fur et à mesure que le pinceau danse sur le papier tout en donnant la direction maîtresse à l’inspiration voyageuse.
La création est un processus individuel. Chacun vit cette expérience d'abandon différemment. Il n'y a pas de recette et on ne peut comparer son expérience à une autre. C'est un chemin solitaire et joyeux dans lequel on s'aventure sans savoir à quoi s'attendre. Cela ressemble à la vie et à notre façon de l'aborder. Stéphan, mon compagnon, et moi avons tout de même créé ensemble les illustrations de deux albums, ce qui nous à amener à harmoniser nos individualités dans une création commune.
Voici un portrait d’artiste qui pourra vous aider à comprendre comment se sont bâties les influences dans mon travail de peintre et d’illustratrice.
Issue d'un métissage culturel (père né en France de parents russes et mère née en Saskatchewan de parents Québécois) et ayant vécu et voyagé depuis ma plus tendre enfance dans plusieurs pays (trois ans en Égypte, trois ans en Iran, un an au Mexique, un an en France et deux ans en Autriche), j'ai côtoyé différentes cultures. Ainsi, mon vécu et ma double origine ont enrichi et complexifié mon identité culturelle. À mon insu et au fond de moi s'est créé un amalgame de toutes ces influences que je retrouve par un effet de miroir dans mes oeuvres. J'élabore ma propre mythologie à partir de toutes ces civilisations qui m'ont traversée et que j'ai traversées. Faisant partie de mon vécu passé non intellectualisé d'enfant et d'adolescente, ces multiples impressions que je recrée encore spontanément dans mon travail ont été reçues en toute sensibilité et sensualité, pour le meilleur et pour le pire. Petite, je me sentais déjà étrangère et familière à plusieurs cultures, immergée, mais aussi souvent déracinée dans de nouveaux espaces sociaux culturels auxquels je devais rapidement m'adapter : j'absorbais et assimilais leurs influences comme le fait, en toute innocence, un enfant impressionnable.
Parfois, notre famille de quatre enfants ne pouvait accompagner mon père dans ses voyages de plusieurs mois de travail intense à l'étranger. Nous restions avec ma mère dans notre maison à Montréal, poursuivant notre routine d'écoliers. Mais nous suivions, à travers les récits de ma mère, notre père à l'esprit aventurier. Ses nombreuses pérégrinations n'étaient pas dépourvues d'aventures parfois époustouflantes et d'événements colorés. À travers ses lettres et nos nombreuses collections de timbres séchant dans toute la maison sur d'interminables rouleaux de papiers de toilette, nous suivions ses voyages. Mon père ne manquait jamais de nous rapporter des cadeaux, de l'artisanat local et ancestral de ses nombreux voyages en Afrique, en Inde et dans les pays scandinaves. Il ne s'agissait pas de l'artisanat destiné aux touristes endormis, mais d'objets signifiants parlant de la vie psychique des peuples et de leur âme. Notre maison en était peuplée. Je me rappelle, entre autres, les poupées cousues par des enfants dans des tissus variés sentant encore le vent du désert, les épices et le cuir. Elles étaient mes compagnes de jeu.
J'ai hérité de mes parents un riche bagage culturel, la passion des voyages et une curiosité insatiable pour les cultures du monde. Avec l'âge, une certaine distance critique face aux traditions de ces différents pays s'est naturellement créée; mais en même temps demeure toujours profondément ancrée en moi, une sensation que toutes ces cultures sont aussi les miennes. C'est pour cela que l'on peut faire appel à moi pour illustrer des textes qui parlent "de l'autre en moi-même", pour illustrer les parfums du monde : par exemple Le mystère de l'île aux épices, de Richard Keens-Douglas, auteur né à Grenade, dont les dessins et les couleurs prennent une vibration des Caraïbes, Mala, un conte du folklore de l'Inde, ou The Birdman, une histoire très touchante se passant à Kolkota, ou encore, mon propre texte Shô et les dragons d'eau dont les illustrations prennent un accent de finesse de l'art japonais.
Ce que je privilégie avant tout dans l'illustration des histoires et dans leur écriture, c'est ce qui nous aide à nous révéler à nous-mêmes. C'est le sens même de ma démarche artistique. Les histoires qui disent la vérité intérieure sont en fait un matériau très puissant pour se retrouver et se relier à nouveau à notre source fondamentale. C'est cette source qui est l'essence même de la vie, de notre liberté et de notre joie de vivre. Et tous, tant que nous sommes, nous oublions et perdons si souvent de vue cette vie profonde qui nous anime. Nous nous débranchons facilement de notre pouvoir fondamental et nous en sommes malheureux. L'art nourrit l'âme. L'art est un moyen extrêmement puissant et à la portée de tous pour comprendre le parcours du voyage de notre âme qui est parfois si douloureux. Il peut nous guider dans l'inconnu qui nous terrifie.
Je joins ci-dessous deux comptes-rendus commentés de mon livre
Les cerfs-volants ensorcelésparus dans les journaux canadiens.
I
ll ne faut pas tenter de museler l’imaginaire, mais le laisser s’envoler au gré des courants et des vents. Voilà la morale de ce beau conte baigné de symbolisme et de sagesse orientale. Choisi par l’empereur d’un pays que l’on devine être asiatique pour accueillir un grand concours de cerfs-volants, un village devient soudainement la proie d’une folle frénésie. Obsédés par la compétition, les habitants essaient de provoquer leurs rêves, première source de leur inspiration créatrice. Mais on ne badine pas avec les rêves, apprendront à leurs dépens les villageois. « La veille du festival, tous les cerfs-volants du village avaient été accrochés aux toits des maisons. Il y avait tant de rêves suspendus au firmament que le soleil avait disparu. Le hameau, plongé dans une nuit sans fin, ne se réveilla plus, à l’exception des enfants.» Le village sombre dans l’oubli et la tristesse. Kitao et Yamauba, deux enfants partis chercher de l’aide, échappent heureusement au maléfice. Ils n’oublieront pas leurs familles et amis. Suite de Sho et les Dragons d’eau (prix du Gouverneur général en 1995), Les Cerfs-volants ensorcelés est une fable légère et grave portée par la voix aérienne de la peintre et auteure Annouchka Gravel Galouchko. Ses illustrations élégantes nimbent le récit d’une atmosphère fantastique. Un conte qui plaira aux enfants et charmera leurs parents.
Pascale Millot
Illustration ©Annouchka Gravel Galouchko tirée du roman jeunesse,
Les cerfs-volants ensorcelés, Leméac-Jeunesse, Montréal
Illustration ©Annouchka Gravel Galouchko tirée du roman jeunesse,
Les cerfs-volants ensorcelés, Leméac-Jeunesse, Montréal
Illustration ©Annouchka Gravel Galouchko tirée du roman jeunesse,
Les cerfs-volants ensorcelés, Leméac-Jeunesse, Montréal
Illustration ©Annouchka Gravel Galouchko tirée du roman jeunesse,
Les cerfs-volants ensorcelés, Leméac-Jeunesse, Montréal
Illustration ©Annouchka Gravel Galouchko tirée du roman jeunesse,
Les cerfs-volants ensorcelés, Leméac-Jeunesse, Montréal
Un petit conte philosophique
Les petits contes philosophiques ne sont pas monnaie courante. C'est pourquoi ils nous chavirent autant lorsqu'un auteur nous offre un si beau cadeau. Les Cerfs-volants ensorcelés est un petit bijou, lumineux et intelligent, qui met en scène des créateurs de rêves. Dans la foulée de Shô et les dragons d'eau, ce magnifique album récipiendaire du prix du Gouverneur général (1995), nous revoici plongés dans une histoire de cerfs-volants. L'exotisme de ce roman hors norme séduit : il est empreint de cette sagesse orientale qui nous entraîne au-delà des frontières du réel. Les illustrations sont tout simplement magnifiques et évoquent cette légèreté propre au matériau de l'histoire. Avec simplicité, il nous prédispose à la réflexion et au partage. Un hommage à la liberté et à son pouvoir de créativité.
Commentaire de Brigitte Moreau, de la librairie Monet et critique littéraire dans leurs publications