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lundi 21 décembre 2009

Yves Desrosiers ou le Pont d'âme entre le Québec et la Russie


Couverture d'un disque de Vladimir Vissotski ramené de Russie en 1992

Dos du disque de Vladimir Vissotski


La première fois que j'ai entendu chanter le poète et comédien Vladimir Vissotski, c'était en 1975. Mes parents nous avaient ramené de l'URRS une cassette illégale de ses chansons enregistrées clandestinement. Je ne comprenais pas le russe mais je percevais son intensité dramatique et son authenticité. Volodia rugissait comme une bête sauvage en roulant et crachant ses rrr à poumons déployés. Pour ceux qui ne connaissent pas Vissotski, sa voix fait penser à celle de Tom Waits, l'écorché vif. Ces deux hommes expriment la bête profondément blessée.

La révolte grondait dans le coeur de Vissotski, il en était l'expression même. Tout comme le poète chansonnier, Boulat Okoudjava dont mes parents avait des disques, Volodia dénonçait dans certaines chansons, le régime soviétique. Beaucoup de gens l'adoraient, même si celui-ci n'était pas reconnu officiellement dans son pays. Malgré les interdictions, ses concerts clandestins le faisaient connaître dans la culture « underground » et de nombreuses copies de ses chansons circulaient. Le fils de la cousine germaine de mon père, Gocha (Grégory), qui était un adolescent à cette époque, offrit à mon père ce précieux présent représentant pour bien des Russes, l'âme des gens de leur pays.

Ce premier voyage en terre russe était en quelque sorte pour mon père, un devoir. Celui de réaliser le vieux rêve obsédant de son père qui était de retourner chez lui. Grand-père, à l'âge de vingt ans, choisit de se rallier à l'armée blanche pour ne pas être enrôlé de force dans l'armée rouge. Il s'engagea dans l'armée des volontaires, à la toute fin de la révolution russe, comme officier de la marine. Il vécut son exil sur un cuirassé de l'armée blanche. Died (grand-père) dû abandonner ceux qu'il aimait profondément, sa famille et sa jeune épouse (ma grand-mère Larissa qui le retrouvera au péril de sa vie plus tard en France), pour participer en Crimée à l'évacuation de milliers de civils sur des bateaux fuyant le régime bolchevique.

À Paris, où mon père est né dans les années 20, mes grands-parents rassemblés avec leurs compatriotes dans la cour de la cathédrale Alexandre Nevski, suivaient avec avidité les nouvelles de la guerre, parlant sans relâche du pays perdu et de leurs proches abandonnés à leur triste sort. Ils espéraient jusqu’à l’usure un retour en Russie. C'était pathétique! Un jour, grand-père noya au fond de la Seine et de son cœur fatigué le portrait jauni du tzar. L'eau coula encore de longues années sous les ponts de Paris. Puis, éclata la deuxième guerre mondiale avec ses ravages.

Quelques années après la guerre, mes grands-parents vinrent s'installer au Québec, encouragés par mon père qui y vivait depuis peu avec ma mère québécoise. Avec la mort de Staline, le rêve de grand-père de retrouver sa bien-aimée Russie se ralluma. Mais cette fois-ci, sans l'illusion d'une réforme, d'un rêve de démocratie pour son pays. Non, died voulait seulement être en harmonie avec sa terre natale, se fondre à sa terre mère, se coucher en son sein et l'embrasser avant de mourir. Il voulait aussi serrer ses frères dans ses bras, revoir son peuple au destin étrangement et dramatiquement répétitif, son peuple qui fut massacré durant la révolution russe et les deux guerres mondiales. Faire la paix dans son coeur avec cet insoutenable passé entaché de tant souffrances.

Grand-père était un homme cultivé. Mais à Paris pour survivre, comme bon nombre de ses compatriotes exilés, il avait fait longtemps partie de ses chauffeurs de taxis russes légendaires. À Montréal, pour survivre à nouveau, died livrait des petits gâteaux Vachon dans sa fourgonnette blanche, tout en rédigeant sa thèse de doctorat : La guerre dans les oeuvres de M.Lermontov à l'Université de Montréal où par la suite il y enseigna la langue russe. Son objet de recherche, selon ses propres termes, concernait la facette la moins illuminée de la vie et de l'oeuvre du poète. Lermontov l'intéressait comme chantre de la guerre, comme officier dont le nom figure sur la liste de quatre régiments de l'armée russe. Grand-père économisa ses sous avec peine pendant des années afin de retrouver sa Russie. Mais il mourut en terre québécoise, sans avoir pu y retourner. Ses vieux os reposent au cimetière poétique et mystique russe de Rawdon.

Ce premier voyage pour mon père en URSS était donc une réconciliation avec le passé de ses parents. Le sentiment familial face à la Russie était entaché d'une appréhension justifiée quant au régime stalinien qui envoya plus d'un membre de ma famille russe au goulag sibérien. Ce voyage, comportant certains risques pour mes parents, devait créer par la suite un pont entre le Québec et la Russie. Un pont entre nous, les enfants nés au Québec et la famille russe. Obtenir la permission pour ce voyage du consulat de l'URSS fut, en 1975, un long et difficile processus. Nicolas, l'oncle de mon père, facilita les démarches administratives.

Nous vivions à cette époque à Téhéran. Mon père, ingénieur en télécommunications, y travaillait pour une société américaine. Nous fréquentions, les quatre enfants, le lycée français Razi de Téhéran. Nous vivions avec Valia, une aide ménagère qui avait sa chambre de bonne au rez-de-chaussée. En Orient, c'était ainsi que les étrangers vivaient, que les Iraniens de classe moyenne ou plus aisée vivaient également. On s'était déjà retrouvé en Égypte, quelques années auparavant alors que nous y vivions, entourés d'une cour de domestiques. La compagnie pour laquelle mon père travaillait nous l'avait envoyée. Envahis, mes parents n'avaient pas osé mettre le cuisinier, l'homme de ménage, le repasseur et la nounou à la porte, de peur que ces gens ne se retrouvent à la rue. Ma mère avait bien du y trouver quelques avantages!

Mais revenons à Téhéran. Valia était une russophone, d'origine polonaise, parlant couramment le farci (le persan). Elle était un personnage hors norme, pour ne pas dire excentrique. Valia était une véritable cerbère, aboyant après les marchands qui sonnaient à notre porte avec l'intention de nous abuser. Elle marchandait à merveille et finalement ceux qui voulaient nous rouler se faisaient rouler par la rusée! Notre babayaga (sorcière des contes russes) portant un fichu noué à la russe sur la tête, protégeait avec jalousie et férocité, les trois splendides jeunes adolescentes que nous étions à l'époque. Valia vociférait les pires injures iraniennes (dont nous, les filles, faisions une joyeuse collection), courant parfois avec son balai après les garçons qui rôdaient autour de la maison.

Lorsque, sous Staline, son coin de pays à la frontière russe et balte fut partagé entre la Russie et la Pologne, dans le mouvement stalinien des déportations de populations, Valia fut déplacée à l'âge de 18 ans en Sibérie dans un camp. Par la suite, après d'incroyables aventures, elle se retrouva, encore jeune femme, à Téhéran où elle s'enracina définitivement. Elle avait été très belle, mais la misère l'avait édentée. Ses immenses yeux d'un bleu azur mouchetés de points dorés donnaient à son regard des reflets magnifiques d'un turquoise aquatique. Le « papaver somniferum » aidait probablement à l'effet parfois étrangement allumé de ses yeux. Notre Valia cherchait régulièrement ses provisions d'opium au bazar de Téhéran en toute légalité et sous un strict contrôle gouvernemental. Cette permission était accordée uniquement aux gens de sa génération accoutumés depuis très longtemps à ce narcotique. Sous le règne du Shah, gare aux plus jeunes qui se seraient aventurés dans ces paradis artificiels! Ils risquaient la peine de mort ou la prison à perpétuité.

Mais revenons au voyage en Russie. Mes parents, dotés d'un esprit aventurier, prirent donc le bateau à Bandar Pahlavi,(le principal port de mer de la Caspienne), jusqu'à Bakou en Azerbaïdjan, nous laissant confiants entre les mains de Valia.

Une tempête s'abattit sur les eaux iraniennes et le bateau dut se réfugier dans une baie pendant une vingtaine d'heures. Rien à manger. Mes parents envoyèrent un télégramme à la famille de Moscou, mais il n'arriva jamais. Toute la famille russe se rendit à l'aéroport de Cheremetievo au jour et à l'heure convenus pour s'en retourner finalement chez elle bredouille et perplexe.

Finalement, les retrouvailles avec la famille eurent lieu. Tant à Moscou qu'à Leningrad (Saint-Pétersbourg), elles furent extrêmement émouvantes. Les oncles Nicolas et Anatole, qui ressemblaient comme deux gouttes d'eau à mon grand-père, prirent mon père dans leurs bras. Ils eurent tous cette sensation si familière de se connaître depuis toujours.

L'appartement très modeste à Leningrad avait été entièrement repeint, la cuisine et les toilettes communautaires, partagées avec d'autres familles de l'immeuble, n'avaient jamais été aussi propres.

Le festin préparé la veille : caviar, blinis, solianka, pirojkis, pelmienis, fut ressorti. Des mois de salaire avait été englouti pour ce grand repas. La vodka et les guitares jaillirent des placards. L'oncle Nicolas chanta toute la nuit avec mon père, comme l'avaient fait autrefois mon père et mon grand-père. Papa leur fit découvrir des chansons datant d'avant la révolution qu'il avait apprises en France de ses parents ou chez les scouts russes. Lorsque papa chanta une chanson russe traditionnelle parlant du prince Oleg et de chevaux, disant : “Le cheval galopait pour le tsar, pour la foie, la religion...” : l'oncle Nicolas, devenant un peu parano, le pria de baisser la voix afin que les voisins ne l'entendent pas. Et il couvrit la voix de son neveu en reprenant la version soviétique : “ Le cheval galopait pour le peuple, la patrie...”
C'est dans cette demeure que Gocha, le petit fils de l'oncle Nicolas, offrit la cassette illégale de Vissotski.

La seconde fois que j'entendis Vladimir Vissovski, c'était en 1992 ou 1993. C’était à l’audition d’un disque en vinyle ramené de Russie au Québec par Dora (la fille de l'oncle Nicolas et la mère de Gocha).

Puis j'en arrive à ma troisième découverte de Vissotski, à travers le disque "VOLODIA" de Yves Desrosiers : redécouverte qui m'a boulversée et qui a enchanté mon père. Ce disque est merveilleux! Yves Desrosiers, par sa voix, sa sensibilité, son intensité et son amour de l'oeuvre de Vissotski, témoigne de sa compassion pour l'âme de ce peuple dont le destin se révèle souvent rempli de souffrances.

Tout comme Yves Desrosiers s'identifie à l'âme russe en étant québécois, je me reconnais doublement dans sa « québécité» et dans sa « russité», moi qui a hérité physiquement et culturellement de ces âmes.

Il chante une chanson de Volodia titrée « Koni preverdlivye » (Chevaux accueillants) en russe de si belle façon que mon père n'en revenait tout simplement pas, lui qui parle un russe si châtié.

Son DC Volodia
Audiogram CD



Mon vieux père, Alexandre Galouchko aujourd'hui